Deux grenoblois dans le sud

Deux grenoblois dans le sud

2013 La vie rurale en montagne autrefois... Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans...

 

La montagne fait partie des éléments essentiels à la vie sur terre. C'est un réservoir de biodiversités qui abrite de nombreux écosystèmes où vivent des espèces animales et végétales dont certaines ne se retrouvent même plus en plaine. La montagne est une réserve d'eau douce dont dépendent les populations vivant en montagne mais aussi celles vivant en plaine. La moitié de l'humanité dépend de l'eau douce provenant des montagnes, estime-t-on. Elle est pourtant menacée par le changement climatique et la surexploitation dont elle fait l'objet : coupe excessive des arbres, conversion des forêts de montagne en terres agricoles, pentes dénudées (glissements de terrain et avalanches) envasement des cours d'eau, niche écologique rétrécie, raréfaction des ressources…

 

Société traditionnelle

 

Les sociétés de montagne sont des sociétés rurales traditionnelles passablement différentes des sociétés modernes plus développées. Malgré leur faible niveau de développement technologique et économique, elles méritent respect et admiration. Le tissu social y est très dense, l'entraide y est très répandue. La famille est valorisée : ses membres, jeunes et moins jeunes, collaborent aux activités productives et aux travaux domestiques.

 

J'ai grandi et toujours côtoyé les paysans, ce n'est pas un terme péjoratif, le paysan, c'était l'homme du pays, l'agriculteur qui vivait là et faisait prospérer sa petite exploitation qui avait d'abord pour objectif de faire vivre toute la famille. 

Plusieurs générations vivaient ensemble dans la ferme familiale, chez certains, l'étable côtoyait la cuisine, chez d'autres, les poules entraient et sortaient de la maison, et les moutons bêlaient à côté de nous pendant que nous mangions la soupe. Ah la soupe, la bonne soupe de légumes à l'odeur irremplaçable, mijotée sur le poêle à bois, pendant des heures.

 

A la montagne, la journée s'organise autour du travail de la ferme. Tout le monde travaille : les hommes, les femmes, les jeunes, les vieux, et même les enfants que nous étions. L'été était très chargé en travail pour les humains et pour les terres. Il fallait produire les légumes, des hectares de pommes de terre, le grain, et le foin pour toute l'année, préparer les vignes, puis vendanger, nourrir les bêtes, traire les vaches, faire le beurre et le fromage, rentrer le bois… les activités ne manquaient pas.

 

Le matin, les bêtes sont conduites pour pâturer le plus haut possible, elles suivent en fait la repousse de l'herbe après la fonte de la neige, d'abord aux alentours du hameau, puis de plus en plus haut. C'était pour nous l'occasion de jolies balades à travers bois et champs, toujours en grimpant pour emmener les animaux aux granges hautes pour la journée. En fin d'après midi, il fallait retourner les chercher, encore des kilomètres de crapahut…Début septembre, lors des premières neiges, elles restent à l'étable pour l'hiver.

 

Les travaux de la ferme.

 

Les tâches principales sont liées à la production et au travail du lait. Ce travail doit se faire tous les jours quel que soit le temps. Ainsi, la tante tape le beurre à la baratte pendant que l'oncle retourne et retourne encore les fromages dans les caves… A cette époque, pas de carrelage au sol, mais de la terre battue, pas de charlotte et de chausson ni de labo, pas de contrôle sanitaire, pas de produits divers et variés, pas de sévères règles d'hygiène… et pourtant, personne n'a jamais été malade…! Chaque jour des gestes répétés pour faire vieillir les bonnes tommes de montagne, au goût inimitable, à l'odeur bien particulière, celle du moisi, celle du cellier, une odeur qu'aujourd'hui on ne risque pas de retrouver sur les fromages formatés des supermarchés…

 

Il faut aussi garder les bêtes (vaches, chèvres, moutons), les rentrer pour les traire deux fois par jour, écrémer le lait, faire le beurre et le fromage tous les jours. Il faut aussi quotidiennement sortir le fumier, quel que soit le temps et nettoyer les bergeries et les étables pour y installer de la paille fraîche. Le fumier est ensuite transporté dans les terres à la brouette, de nombreux aller-retour sont nécessaires et je peux vous dire que vos bras, en fin de saison, sont musclés… A côté de cela, il faut créer et entretenir le potager, le verger, couper la luzerne pour  les lapins, nourrir cochons, poules, pintades, oies dindes et dindons.

 

Voilà enfin les grandes vacances, plus d'école, encore moins de devoirs de vacances, ça n'existait pas, c'était l'époque ou l'on se faisait de nouveaux copains, les "villégiateurs", touristes d'autrefois à qui on louait pour une poignée de francs, un coin de la ferme, gîtes d'antan sans épi ni logo ni règles, juste ce qu'il faut pour passer des vacances à la ferme. Les petits parisiens puis plus tard les vendéens, pour la plupart n'avaient jamais vu de vache de leur courte vie, sinon sur une boîte de « vache qui rit »… quelle tristesse... sans parler des autres animaux, ils étaient effrayés par les dindons qui nous coursaient, ou les moutons qui jouppaient… je me souviens qu'ils étaient dégoûtés par l'odeur du fumier ou du bon fromage de chèvre qui coulait sur les planches de bois. Nous nous chargions alors de leur éducation et le changement de décor, pour eux, était radical… mais sans doute inoubliable…

 

Le moment que je préférais, c'était la traite du soir, quand l'oncle avait terminé, le lait était versé dans les grands bidons qui étaient alors trempés dans le bassin pour refroidir et enfin entreposés toujours au même endroit en attendant que le laitier vienne les chercher demain matin. C'était le moment ou les voisins, les locataires, les gens de passage et parfois quelques curieux, venait boire avec nous le lait bien chaud tout droit sorti du pis de la vache… tous assis sur le bassin près des étables. un goût inoubliable, le goût du lait, du vrai, du pur. Depuis cette époque, je n'ai plus jamais bu d'autre lait, surtout pas le « lait en boîte » du commerce… qui pour moi, n'a de lait que le nom.

 

 

Les fenaisons

 

L'époque est arrivée de faire les foins. L'herbe est coupée dès 5 ou 6 h du matin par les hommes à la faux, puis plus tard à la machine. Ce travail est épuisant mais incontournable. La lame est aiguisée avec une enclume et un marteau (pour rattraper les trous faits par les pierres dans le tranchant), puis avec une pierre mouillée dans une poche en bois pleine d'eau. Le foin est alors retourné pour sécher au soleil et quand il est complètement sec, ramassé et attaché en gros ballots d'une trentaine de kg. Ceux-ci sont montés sur les remorques et descendus aux granges avec le tracteur qui a peu à peu remplacé les boeufs ou les chevaux. Les ballots sont ensuite montés au dessus de l'étable, quelle bonne odeur de foin…

 

 

  La vie au hameau

 

Tout le monde se connaît, tout le monde se parle. Les plus jeunes respectent les plus âgés, leur rendent visite, les aident. Il était de coutume d'aller prendre des nouvelles des uns et des autres, l'occasion d'un moment à discuter de tout et de rien.

 

Au hameau, aujourd'hui c'est le jour du pain. Les femmes se retrouvent autour du pétrin, une grande table creuse où les ingrédients sont mélangés et pétris pendant un très long moment. Ensuite les couronnes de pâte sont déposées dans des corbeilles farinées et posées sur les étagères, couvertes d'un torchon, jusqu'au lendemain pour lever. Après avoir trait les vaches, nourri les animaux, on se retrouve autour du four à pain embrasé de rameaux jusqu'à obtenir une chaleur suffisante pour cuire le pain. Chacune à leur tour, les femmes du hameau font le pain pour tout le monde, chacun sa couronne qui durera plusieurs jours, bien enveloppée dans un torchon humide.

 

Demain, c'est jour de fête, l'oncle tue le cochon, tout le hameau est convié à la fête, puisque c'était une fête, seuls les cris du cochon que l'on tuait me semblait être une note terriblement triste à cette fête, mais il en était ainsi, il fallait manger tout l'hiver… Chacun et chacune apporte son savoir-faire pour préparer les tripes, les saucissons, les jambons,  les pieds de porc, le pâté de tête, les andouillettes, le boudin, etc. Quand tout est nettoyé et terminé, les femmes préparent la tablée pour tout le monde et ce repas de fête sonne la fin de la journée.

 

Un klaxon insistant nous réunit autour de l'épicier ambulant, c'est jour de visite du petit camion plein de vivres. Nous savons qu'il va nous glisser un petit bonbon, alors on court vers lui, suivis des habitants qui viennent au ravitaillement. C'est un moment d'échange, qui se répétait chaque semaine, et le petit camion regorgeait de tout ce qu'il fallait pour tenir jusque là...

 

Tiens, ce samedi, l'alambic s'installe au hameau, le temps venu de distiller la goutte… c'est encore un jour de fête, et pour les petits filous que nous sommes, c'est un jour important, on va devenir des grands… en fait, rien que l'odeur de la distillation nous saoule… finir les verres des anciens est un petit plus qui faisait que nous dormions comme des bébés… Autrefois, le droit à l'alambic se transmettait de génération en génération, aujourd'hui, c'est fini, il ne reste que quelques anciens qui ont encore ce droit, presque disparu… encore un usage ancestral qui disparaît… la société moderne, au nom de je ne sais quelle loi votée par des bureaucrates qui n'ont jamais mis les pieds à la montagne, nous reprend tout… la bonne vieille gnôle des montagnes devient impossible à trouver… enfin pas pour tout le monde… il y a quand même encore beaucoup de litres qui circulent, l'interdiction nous ramènerait-t'elle à l'époque de la prohibition ??? j'en ris.. !

 

Mon grand oncle, en plus d'être agriculteur de moyenne montagne, était aussi maréchal ferrant, alors de temps en temps, tous les cheveux d'ici et d'ailleurs convoyaient au hameau pour être ferrés. Encore une tradition ancestrale qui se raréfie… C'était la journée de la balade à cheval à travers les forêts environnantes, pas trop mon truc le cheval, je préférais notre âne, pas têtu du tout, qui nous emmenait partout…

 

Septembre, bien tassé, les vendanges, j'adorais ça, moi j'aimais bien regarder le pressoir «travailler »… j'y revenais tous les ans, où que je sois, pour des journées de partage et d'entraide à retrouver les « conscrits » (les gens du village nés la même année que moi) car après les vendanges et le repas tous ensemble, il y avait la journée des conscrits. 

 

C'était chouette ça, tous revenaient des quatre coins de France pour ce grand repas en commun sur la place. Que sont-ils devenus ? chacun a suivi sa route, beaucoup ont quitté le village pour la ville où le travail était facile mais aucun ne ratait cette journée de retrouvailles à se raconter les souvenirs engrangés les bancs de l'école.

 

Tiens, l'école… on apprenait bien, et nous n'étions pas surprotégés par des lois à la con et des réglementations parfois farfelues de l'Éducation Nationale d'aujourd'hui. L'éducation civique était de rigueur, nous apprenions le respect de l'autre, déjà acquis dans nos familles, on connaissait les 4 mots magiques, « bonjour, s'il vous plaît, merci, au revoir »…  et les fessées étaient légion pour les cancres, personne n'est mort de ces pratiques… et les choses étaient très bien et vite comprises… Aujourd'hui, c'est un procès, mais dites moi, ou va t'on !!! On était malade quand on devait aller à l'hôpital, nous n'étions pas surprotégés par les antibiotiques et traitements de toutes sortes ingurgités à outrance, et les visites récurrentes chez le médecin, quand il venait c'était pour la rougeole ou la varicelle, les trucs incontournables de gosses, tout le reste était soigné par les plantes et un bon vieux grog avant d'aller au lit. A l'aube on reprenait la route, à pied, pour l'école… 

 

L'école on aimait, les leçons de choses en pleine forêt, à découvrir les fleurs de nos montagnes, les premières classes de neige où l'on apprenait à «survivre» à la manière des chasseurs alpins, à s'entraider et se souder dans les murs de neige plus hauts que nous… L'école, c'était d'abord l'école de la vie… une bonne école…

 

Bientôt l'hiver…

 

L'hiver approche, les orages d'automne nous font peur. Le tonnerre claque et résonne entre les montagnes. Le bruit est assourdissant, inquiétant. Les éclairs se succèdent, interminables. Vite, il faut couper le courant, préparer les serpillières car le ruisseau, tout près, va sans aucun doute déborder. C'est le branle-bas de combat, tout le monde protège tout ce qu'il y a à protéger, les volets sont fermés, fixés, la porte d'entrée « colmatée » au bas par des linges pour empêcher l'eau d'entrer, et tout le monde se réunit autour de la table, une petite lampe à pétrole faisant office de lumière, en attendant que ça passe. Les orages, je ne les ai jamais oubliés. Quand ils se déclenchaient dans la nuit, on ne dormait pas, de peur…

 

Il est maintenant temps de préparer l'hiver, aujourd'hui corvée de bois. Les hommes coupent à la hache des arbres vieillissants, ils fendent les bûches. Et les enfants que nous sommes les portent jusqu'au hangar à bois. Des centaines de bûches à porter, épuisant… mais la cheminée fonctionnera tout l'hiver pour chauffer, avec le poêle, toute la maison.

 

Il fait encore quelques belles journées, suffisamment belles pour encore laver le linge à la rivière, la corvée linge, puisque c'était bien une corvée, durait longtemps, longtemps… pas encore de machine à laver, juste du savon de Marseille et de l'huile de coude…

 

Les veillées

 

Pas de télé, pas encore, mais un vieux transistor TSF (et, luxe suprême, un tourne-disque) autour duquel tout le monde se réunit après le souper, près de la cheminée. Il fait bon, certains anciens parlent en patois,… les enfants que nous sommes écoutent et boivent les paroles sans tout comprendre, l'essentiel n'est pas là. Puis vient l'heure du coucher. Les chambres sont froides, pas de chauffage à l'étage, le bout du nez gelé, on se glisse sous les énormes édredons sur les matelas de crin, les pieds sur la bouillotte... l'air ambiant est sain, le sommeil est récupérateur.

 

Depuis, les temps ont bien changé…

 

La région est équipée pour le ski le travail agricole se complète bien avec un travail lié au tourisme hivernal (pisteur secouriste, perchman, moniteur de ski, accompagnateur en montagne, voire guide). Les granges montagnardes ont été transformées en villa de vacances, ou d'habitation, avec agrandissement des fenêtres, création d'ouvertures sur le toit, construction de cheminée maçonnées, crépi faussement rustique, chaudrons transformés en jardinière accrochés sous le toit, volets avec des Z peints en rouge… C'est souvent d'un goût discutable par son mépris du style de construction et de vie de la montagne. Actuellement, il ne reste que très peu de granges et de chalets d'alpage en état correct témoins de cette vie montagnarde.

 

Le tourisme de montagne constitue une source importante de revenus pour les communautés locales et favorise leur développement socio-économique : construction d'infrastructures de base permettant d'accueillir les visiteurs, création d'emplois et création d'un marché pour les produits de l'artisanat. Le tourisme permet donc d'améliorer le niveau de vie des populations vivant en montagne mais il entraîne par ailleurs de nombreux inconvénients : abattage des arbres pour la construction des infrastructures touristiques, absence ou mauvaise gestion des ordures, dégradation des sentiers tenant lieu de routes, détérioration des écosystèmes les plus fragiles, bouleversement des modes de vie traditionnels, dépendance des populations locales envers les revenus du tourisme…

 

Il faut que j'évolue, mais je n'y arrive pas… Je déplore par dessus tout l'inexorable disparition des cultures et coutumes autochtones… au profit d'une installation progressive de la ville à la montagne… avec ses terribles inconvénients, dont notamment, le changement des mentalités qui étaient pourtant ancrées et dont seuls nos anciens sont encore les témoins… mais ils vont tous partir nos anciens et après ?

 

 

Ah, nostalgie, quand tu nous tiens...

Encore un peu de nostalgie dans cet article que j'avais fait et que vous pouvez lire aussi...  "mes racines, mon pays"...

 

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18/12/2013
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